L’arrivée d’un contingent de 2 000 hommes de l’armée tchadienne au
Mali, pour participer à la force internationale, a fait couler beaucoup
d’encre. De nombreux commentateurs ont salué cette arrivée de troupes « expérimentées » et « aguerries ».
Principalement composée de membres de l’ethnie zaghawa, celle du
président Idriss Déby, l’Armée nationale tchadienne (ANT) a cependant
aussi ses faiblesses… et même quelques points noirs hérités d’une
guerre civile meurtrière. Revue de troupes en détail.
Un article de Gaël Grilhot
« Le Tchad entend assumer sur le terrain sa responsabilité avec toute la
rigueur qu’exige une telle mission »
: c’est par ces mots que le président tchadien Idriss Déby a justifié
l’envoi d’un contingent de près de 2 000 soldats de l’ANT au Mali. Pas
moins de 200 d’entre eux sont déjà arrivés à la base de Niamey au
Niger, où ils devraient être rejoints par des Burkinabè et des
Nigériens, pour ensuite pénétrer en territoire malien. Depuis cette
annonce, les commentaires élogieux n’ont cessé de fleurir, évoquant ici
ou là des troupes tchadiennes « aguerries », « expérimentées ». Mais cette armée est-elle à la hauteur de sa réputation ?
Comparés aux 5 à 7 000 hommes de l’armée centrafricaine, ou aux
7 800 soldats maliens, le Tchad fait effectivement figure de puissance
militaire dans la région, avec ses quelque 30 000 militaires actifs,
dotés qui plus est d’une artillerie conséquente. Avec son escadrille de
six bombardiers Sukhoi-25 et ses hélicoptères de combat MI-24, l’armée
de l’air tchadienne est aussi la plus importante de la région. Par
ailleurs, il est vrai que son expérience des combats en milieu aride
confère à cette armée une solide expérience. Confrontée à plusieurs
rébellions durant de longues années, elle a l’habitude d’évoluer sur un
terrain, et à des températures identiques à ce qui existe dans le nord
du Mali. D’ailleurs, c’est dans la province de l’Equateur, au
Congo-Kinshasa, en juillet 2000, face aux rebelles de Jean-Pierre Bemba
et à l’armée ougandaise, que l’ANT a essuyé son seul échec opérationnel
de ces dernières années. Le terrain et le climat étaient alors
totalement différents. Enfin, le conflit inter-frontalier avec la Libye
(1983-1987), qui s’est conclu par la victoire des colonnes tchadiennes
commandées par le colonel Hassan Djamouss, a permis à l’ANT d’acquérir
une connaissance des conflits de plus forte intensité.
Une armée forte grâce à sa composante ethnique
Mais ce qui fait la force de l’armée tchadienne, c’est surtout sa
composante ethnique. Essentiellement recrutées parmi les Zaghawa – une
ethnie du nord-est du pays –, les unités d’élite de l’ANT font preuve
d’une relative homogénéité et d’une toute aussi relative fidélité au
pouvoir en place. Cette montée en puissance des Zaghawa dans l’armée
date de l’arrivée au pouvoir de Hissène Habré, en 1982. Cete année-là,
Ndjamena fut prise par des colonnes commandées par le colonel Idriss
Déby, d’origine zaghawa. Cette montée en puissance s’est
quasi-systématisée après la prise du pouvoir en 1990 par Idriss Déby
lui-même.
Toutes ces raisons expliquent les nombreuses victoires remportées
par l’armée tchadienne contre l’armée libyenne dans le nord du Tchad
(1986-87), contre les rebelles anti-Patassé à Bangui (1996-97) et
contre l’armée centrafricaine pro-Patassé en 2003. Néanmoins, en
mettant en place les opérations Manta (1983) et Epervier (1986),
l’armée française a apporté à cette armée une aide décisive face aux
troupes libyennes, alliées à l’opposant tchadien Goukouni Ouéddeï.
Une armée friable… à cause justement de cette composante ethnique
Mais le qualificatif de « relative » n’est pas superflu, lorsqu’on
évoque l’homogénéité de l’armée tchadienne. A plusieurs reprises par le
passé, des dissensions au sein de la hiérarchie militaire – et donc de
la communauté zaghawa – ont bien failli provoquer la chute du régime.
Dernier exemple en date, l’attaque de Ndjamena en février 2008. Le
mouvement rebelle était dirigé notamment par Timane Erdimi, un neveu et
ancien directeur de cabinet du chef de l’Etat tchadien. L’assaut avait
atteint la capitale, et Idriss Déby avait dû son salut à ses chars
lourds et à la sécurisation par l’armée française de l’aéroport, d’où
avaient pu décoller ses hélicoptères de combat.
Un passé trouble
Le Premier ministre malien accueille les troupes nigérianes au Mali
L’autre faiblesse de l’armée tchadienne tient probablement à son
manque de professionnalisme, à commencer par son comportement violent
vis-à-vis des populations civiles. Certes, les temps sombres de la « pacification » du Sud menée après la prise de pouvoir en 1982 par Hissène Habré – notamment lors des massacres de « septembre noir »
en 1984 dans la région de Sarh – semblent désormais révolus. Mais les
soldats de l’ANT se rendent toujours coupables d’exactions. A plusieurs
reprises, des organisations internationales comme Human Rights Watch
ont notamment pointé du doigt les agressions commises par l’armée
tchadienne à l’encontre de populations civiles, en particulier dans le
nord-ouest de la République centrafricaine. En mars 2008,
l’organisation y dénonçait « les nombreuses attaques
transfrontalières (de l’armée tchadienne) contre des villages (…) tuant
des civils, incendiant des villages, et volant du bétail. » La
présence d’enfants soldats au sein de l’armée a aussi longtemps été
reprochée au gouvernement tchadien, jusqu’à ce que ces enfants soient
officiellement démobilisés en 2007.
nettoyage » de l’armée. Celle-ci visait selon lui à professionnaliser l’institution, à y faire régner « l’ordre et la discipline », et à la purger des « brebis galeuses et fossoyeurs de l’armée qui doivent rendre le béret et les insignes militaires avant la fin des opérations ».
La réforme prévoyait une meilleure rémunération et une meilleure
formation des forces armées, mais aussi une baisse des effectifs.
Simple cure d’amaigrissement ou réelle volonté de faire évoluer l’armée
tchadienne ? Il est encore trop tôt pour répondre.
En envoyant un nombre aussi important de soldats au Mali, bien
au-delà de son périmètre d’action traditionnel, Idriss Déby poursuit
bien évidemment un objectif diplomatique. Les premières réactions
élogieuses à l’arrivée de ses troupes répondent à ses attentes, mais
nul doute que le comportement de ses soldats sera suivi de près.
La République du Congo s’occupe de l’acheminement des troupes tchadiennes
Dans un communiqué diffusé le 19 janvier 2013, le Congo déclare assurer le transport des troupes tchadiennes vers le Mali.
« La République du Congo assure le transport, avec armes et matériel, des deux mille soldats de l’armée tchadienne vers le Mali, indique ainsi le document émanant du cabinet du président de la République, dans le cadre de la mise en place d’une force d’interposition africaine pour le Mali, estimée à 3 500 hommes. »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire