vendredi 1 février 2013

5ANS APRÈS LA DISPARITION DE IBN-OUMAR QUE DISENT LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE ET LES HAUTES COURS DE JUSTICE PRÊT A JUGER LES PRÉSIDENTS DÉCHUS,




deby ou est ibni---13-12-2012 20-15-41
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«Ibni Oumar Mahamat Saleh, Ngarlejy Yorongar et Lol Mahamat Choua auraient été arrêtés» !
Quand RFI donna la nouvelle pour la première fois, je n’en mesurai pas encore la portée.
Comme beaucoup, j’étais persuadé que l’histoire du Tchad allait retenir ces dates des 2 et 3 février, principalement comme celles du second assaut spectaculaire de l’opposition politico-militaire sur N’Djamena.
Resté à Khartoum, pour causes de problèmes internes, alors que mes compagnons allaient à l’assaut du pouvoir, le plus important sur le moment, c’était de rester accroché au téléphone pour suivre l’évolution des opérations.
Ce n’est que plus tard, au fil des semaines, quand les indications s’accumulèrent progressivement pour nous infliger la tragique, l’inacceptable vérité : Ibni Oumar avait été enlevé à son domicile par les forces gouvernementales, sauvagement battu devant ses proches, jeté comme un sac, sur la plate-forme d’un véhicule militaire, puis assassiné; ce n’est que plus tard donc, que je réalisai que ce crime d’État allait s’imposer comme l’événement historique marquant de ce début février 2008, plus que l’épisode guerrier.
«Ibni »,c’était un ami de jeunesse, un compagnon de lutte, un collègue de travail ; mais pour beaucoup de camarades de notre génération, celle qui fut au collège au lendemain de l’indépendance, et trouva -politiquement- son «Chemin de Damas» dans le mouvement étudiant des années 70, sous les régimes Tombalbaye et Malloum, Ibni c’était tout cela, mais bien plus que tout cela : une part de nous même ; la part la plus fraîche, la plus authentique et la plus précieuse de nous-mêmes.
Une bonne tranche de ma vie personnelle et militante, les étapes les plus significatives de ma prise de conscience, ma formation politique, mes engagements pour toute une existence, sont intimement imbriqués à ceux d’Ibni, avec, il faut le dire des phases de fusion mais aussi de partition.
Sa disparition aussi brutale, aussi lâche (et encore inexpliquée par maints aspects), il y a cinq ans maintenant est, pour nous tous, ses amis de jeunesse, ses vieux compagnons de lutte, un traumatisme personnel, avant d’être l’événement politique de portée nationale et internationale qu’il est pour le public. C’est un point de bascule dans nos vies particulières, comme une transgression incestueuse, dont nous devons porter les effets ravageurs pour le restant de nos jours.
Notre première rencontre.
C’était durant l’année 1969. J’étais en terminale au lycée Félix Éboué de N’Djamena. Il y avait le championnat annuel d’athlétisme du Tchad. Les concurrents étaient essentiellement des collégiens et lycéens de toutes les régions. Cet événement était une occasion pour les jeunes des différents établissements de découvrir la capitale et de faire connaissance avec leurs collègues des autres parties du pays.
DISPARITION D’IBNI, TÉMOIGNAGE PERSONNEL, par Acheikh Ibn-Oumar Page 2 sur 7
L’école jouait encore son rôle de creuset national et de lieu de brassage transrégional et trans-ethnique. Tous ceux qui étaient au collège, jusqu’au début des années 70 vous le diront : on ne connaissait à l’époque ni Nord, ni Sud, ni ethnies, régions, ni religions.
Ibni était dans le groupe d’Abéché. Il concourrait pour l’épreuve du saut en hauteur, ainsi que son grand frère Mahamat. Il finit dans les tous premiers. C’était un grand sportif. Quand il vint à Orléans pour ses études universitaires, il eut à participer aux championnats régionaux, mais malheureusement, Il arrêta très rapidement un parcours de sportif amateur qui l’aurait mené assez loin.
Nous nous sommes rencontrés chez un notable de sa région d’origine (Biltine), à l’occasion d’un rassemblement familial dont je ne me rappelle plus l’objet (baptême probablement).
Au cours des présentations un ami plaisanta : « Attention, vous avez, à ma gauche Ibn Oumar le matheux, à ne pas confondre avec à ma droite, Ibni-i-i Oumar le matheux ». Cette ressemblance de noms et la similitude des parcours, jusqu’à la participation dans le même gouvernement, fut la source de beaucoup de plaisanteries et aussi de confusions moins drôles. (« Je vous présente notre ami tchadien Acheikh Ibn-Oumar », « Ah bon, c’est lui ? Il a été libéré finalement ? »).
Plus d’une fois j’ai eu à expliquer qu’Ibni et moi avons été baptisés d’après le même personnage : le Cheikh Ibn Oumar al-Tidjani (petit-fils du Cheikh Ahmad al-Tidjani, le fondateur de la confrérie). Sur son chemin vers le pèlerinage à la Mecque, il avait fait deux passages retentissants au Tchad et au Soudan, et beaucoup d’enfants nés entre 1949 et 1953 avaient été baptisés de son nom, en son honneur ; comme par exemple le parlementaire et hommes d’affaires soudanais Sheikh Ibn Umar Yusuf Idriss, assassiné à N’Djamena, en 2003.
Le père d’Ibni, Alhadj Mahamat Saleh Yakoub, était un fervent tidjaniste et la famille était réputée descendre du Cheikh Abdalkarim Djameh, qui renversa la dynastie toundjour et fonda la dynastie royale « abbassiyé » du Ouaddaï, au début du 17è siècle.
Pour revenir à cette première rencontre avec Ibni, ce qui m’avait frappé d’emblée, c’était son silence. Il parlait très peu, et quand il le faisait, n’élevait jamais la voix. En même temps, il se dégageait de son silence, de sa voix très douce, presque chuchotante, de ses gestes lents, une espèce de force, de sérénité même, qui vous contaminait tout de suite.
Au fil de sa maturation sociale et politique, ce caractère devait s’affirmer progressivement, comme le secret de son charisme atypique : une intelligence et une intégrité exceptionnelles, enveloppées dans un « minimalisme » langagier, gestuel et même vestimentaire.
Économie des moyens, sobriété, discrétion, c’était les traits essentiels de sa personnalité dans tous les aspects de sa vie : en famille, au travail, dans les débats politiques, dans les loisirs…
C’était comme si le mathématicien qu’il était, se concentrait sur les données essentielles et écartait tous les artifices et décors.
Ils étaient quatre à m’avoir particulièrement marqué par ce type de personnalité dense et modeste à la fois : Ibni lui-même, et les défunts Dr Noukouri Goukouni, Nadji Bassiguet, et Ousman Gam.
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Le mouvement étudiant en France
Mais nous ne nous sommes vraiment connus qu’en France, à partir de 1970.
A l’époque, nous étions moins de deux cents étudiants tchadiens sur tout le territoire français, et formions une colonie compacte.
L’association estudiantinei (voir note en fin de doc.) regroupait la grande majorité des compatriotes, et les réunions, congrès, conférences-débats, meetings de soutien aux mouvements de libération en Afrique (colonies portugaises, Afrique du sud) et ailleurs (Viêt-Nam, Palestine, Amérique Latine etc.), étaient organisés régulièrement avec d’autres groupes africains ou français.
Dans ces années 70, les milieux universitaires, dans le monde entier, étaient largement sous l’influence des idées révolutionnaires, dans la foulée des révoltes étudiantes de mai 1968; et l’idéologie marxiste, dans ses différentes variantes, était le cadre intellectuel de la réflexion et de l’engagement, même chez ceux qui ne s’en réclamaient pas ouvertement.
Le Frolinat qui était encore un ensemble quasi homogène présentant toutes les apparences d’un mouvement de guérilla révolutionnaire tiers-mondiste, s’imposa rapidement comme notre référence, en termes d’engagement. Après le congrès de décembre 1971, l’ASETF, sous la présidence du défunt Pierre Modingaral, adopta une résolution solennelle de reconnaissance du Frolinat ; en tant qu « ’incarnation des aspirations populaires ». Ironie du sort, notre camarade Modingaral fut tué par les FAN pendant les événements de février 1979.
Toutefois entre la prise de conscience et l’engagement pratique il y avait une certaine gradation.
A l’association estudiantine, en tant qu’ »organisation de masse », incombait la tâche de la sensibilisation et de la formation politique.
Le travail de popularisation des luttes révolutionnaires au sein de l’opinion et de solidarité avec les peuples opprimés, était plutôt la mission des groupes de sympathisants français tiers-mondistes, appuyés par nous. Dans la multitude des comités de soutien, centres d’études, etc. à vocation tiers-mondiste, il faut mentionner, une association spécifiquement dédiée au soutien à la lutte du Frolinat, le GIT (Groupe Information Tchad), créé à l’initiative du Dr Jacques Guidée. Ce dernier habitait à Orléans comme Ibni et animait au départ un réseau de soutien au front POLISARIO. Notre ami Guy Labertit était parmi les principaux animateurs du GIT.
Les conférences, meetings, etc. étaient tenus régulièrement, en particulier pour commémorer la création du Frolinat ( du 22 juin 1966) et la mort du fondateur Ibrahim Abatcha (18 février 1968) dont les posters ornaient les murs de toutes les chambres .
Quant à l’engagement organique, l’adhésion au mouvement révolutionnaire proprement dite, cela vint un peu plus tard, de façon clandestine, à travers des réseaux cloisonnés, constitués sur la base de la proximité géographique et des affinités personnelles.
Alors que les « débats idéologiques» enflammaient toutes les retrouvailles, Ibni se distinguait par un engouement très limité pour les joutes orales. Ses interventions étaient rares, calmes, simples, sans recherche d’effet oratoire, mais faisaient immanquablement mouche. De fait, il ne se « lâchait » réellement que dans les tâches pratiques : préparer et coller des affiches, organiser les collectes, les projections de
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documentaires sur les mouvements révolutionnaires, rédaction et distribution de brochures, etc.
Parmi les ténors du révolutionnarisme estudiantin, émergeaient déjà les futurs chefs d’État Alpha Condé et Laurent Gbagbo, et avec ce dernier surtout, Ibni, avait tissé de solides liens.
La brève expérience du « terrain » Frolinat
En rentrant au Tchad, à la fin de leurs études, les camarades devaient rejoindre les cellules clandestines du Frolinat, d’autres avaient essayé de créer des groupes ex nihilo. Ceux qui étaient « grillés » et qui craignaient pour leur sécurité avaient décidé de ne pas renter au pays et/ou de rejoindre les maquis.
Les frères Adoum Yacoub, puis feu Mahamat Ali Younousmi (dit « Jackson ») puis moi-même (1977), furent les premiers à aller sur le terrain, via la Libye, qui servait déjà de base arrière.
Ici, je dois ouvrir une parenthèse, c’est celle de la constitution d’un groupe autonome clandestin au sein du Frolinat, sous l’appellation de GMC (Groupe Mahamat Camara). Dans le noyau initial de concertation où fut élaborée l’idée de la création du GMC, le choix d’Ibni comme premier coordinateur, s’imposa spontanément et unanimement comme une chose évidente. Le GMC se ramifia dans les autres pays, surtout en URSS et au Congo-Brazza, par des cellules clandestines, très cloisonnées, dont les membres ne se connaissaient pas. Nous avions préféré ce groupe autonome au sein du Frolinat, par ce que nous avions des réserves par rapport à la direction centrale du mouvement incarné par le Dr Abba Siddick. Notre camarade Adoum Yacoub qui était parti, en 1973, se mettre à la disposition de la direction à Alger où était le principal bureau extérieur, dut démissionner, en protestation contre des incidents graves survenus au sein de combattants dans l’Ennedi, et revenir précipitamment en France.
Par une espèce d’omerta qui ne se justifie plus aujourd’hui, les membres du GMC n’ont jamais voulu parler de cette expérience, prolongeant l’esprit de clandestinité révolutionnaire originel. La seule mention publique fut celle d’un article paru en 2009, sur le site « bololo.net »(certainement rédigé par le Dr Mamouth Nahor) sous le titre: « Ibni Oumar Mahamat Saleh et le Groupe Mahamat Camara ou GMC ». Le site Bololo.net a fermé depuis, mais l’article est encore consultable sur :
http://www.tchadenligne.com/article-34861741.html
Ibni et d’autres camarades (feu Nadji Bassiguet et Manassé Guealbaye) nous rejoignirent en 1978. Entretemps le Frolinat avait pris la ville de Faya-Largeau et Fada, « libérant » d’un coup tout le territoire du BET (mars 1978).
Malheureusement au moment où ces derniers devaient franchir la frontière tchado-libyenne, les affrontements extrêmement violents éclatèrent au sein du Frolinat, sur fond d’antagonisme tribal gorane/arabe.
Les camarades Ibni, Nadi et Manassé ont failli tomber dans une embuscade dans la région d’Ounianga et ont dû rebrousser chemin vers Koufra. Puis finalement retournèrent en France, assez déstabilisés par ces déchirements.
A partir de là, nos chemins divergèrent quelque peu.
Ibni et les autres camarades choisirent l’exile, nous autres décidâmes de continuer à rester au maquis malgré les fissures dans le mouvement, et le cours assez décevant que commençait à prendre la lutte du Frolinat qui atteignit son paroxysme avec le fractionnement du Tchad en « tendances politico-militaires ».
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Leur récit jeta un certain froid sur l’enthousiasme révolutionnaire pro-Frolinat dans le mouvement étudiant, lequel était déjà assez ébranlé par la fracture antérieure, celle entre les mouvances Goukouni et Habré (fin 1977), par la réunification précipitée et confuse au congrès de Faya qui écarta définitivement le Dr Abba Siddick au profit du Goukouni Weddeye, et surtout par la prééminence croissante de la Libye de Kadhafi. Ainsi, l’ASETF décida de retirer son soutien au Frolinat, malgré la résistance du bureau présidé par le Dr Fidel Moungar qui fut en minorité et remplacé par celui de Bedoumra Kordjé .
A partir de cette période (1978), nos rapports politiques s’étaient distendus, mais nos liens personnels étaient maintenus par le courrier et les rencontres au cours de voyages. Nous nous concertions sur tous les aspects de l’évolution politique, moi-même et les autres collègues qui étions restés dans « les Frolinats », et lui en tant qu’observateur plus que concerné ; concertation naturelle, dans la mesure où, malgré les positionnements conjoncturels divergents, nous partagions toujours l’idéologie révolutionnaire, le même cadre d’analyse et la même vision pour le futur : un régime progressiste et populaire au Tchad.
L’exile, puis le retour pays, sous le régime Habré
Pendant la période trouble qui marqua le Tchad à partir de la guerre civile de février 1979, puis la prise de pouvoir par Hissène Habré, Ibni ne pouvant renter au s’installa en Algérie (1979-1980) puis au Niger (1980-1985), comme prof de maths à l’université Abdou Moumouni de Niamey avant de répondre à l’appel à l’appel du président autoproclamé Hissène Habré. Il rentra au Tchad en 1985.
Moi-même, après avoir guerroyé contre le pouvoir de Habré dans le cadre du GUNT, du néo-GUNT et du CDR, fit le même chemin, après l’Accord de Bagdad du 29 novembre 1988, signé, pour le gouvernement tchadien, par feu Brahim Mahamat Itno.
Donc, ce fut une autre phase de notre compagnonnage, en tant que ministres dans le même gouvernement (mars 1989 – décembre 1990).
Quand je le rejoignis dans le gouvernement, en tant que ministre des Affaires étrangères, il était ministre de l’enseignement supérieur. Et, après la disparition tragique de notre collègue Mahamat Soumaïla, dans l’explosion de l’avion DC10 d’UTA, au dessus du Niger, en septembre 1989, il remplaça ce dernier à la tête du ministère du Plan.
Notre complicité d’antan, qui avait très bien résisté au temps et aux différences des parcours, ainsi que l’imbrication des dossiers entre nos deux départements ministériels, nous avaient amenés tout naturellement à développer des rapports de travail denses et harmonieux. La mission principale du ministre du Plan, n’étant pas tant la planification proprement dite que la mobilisation des organismes et pays partenaires en développement, beaucoup de dossiers et de missions, liés à la Coopération internationale, sollicitaient une « cogestion », souvent problématique, entre les deux ministères.
La période MPS
L’arrivée du MPS en décembre 1990, modifia un peu la configuration. L’instauration du multipartisme, l’amena à fonder le parti PLD, alors que de mon côté, je ne voyais pas l’opportunité de m’engager dans cette phase de multipartisme. Cependant, j’ai suivi de près les différentes phases de l’évolution initiale du PLD, et tout en n’appartenant à aucun parti, je me considérais comme sympathisant, et j’étais associé
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à la concertation et aux discussions très vives à l’époque sur les différentes questions liées à l’organisation interne du parti naissant et son positionnement tactique.
En fait, j’étais directement impliqué dans la phase de gestation. Quand les partis commencèrent à essaimer, à partir de 1991, beaucoup de cadres, dont Ibni et moi-même, pensaient qu’il fallait éviter de se précipiter dans cette voie politicienne, mais commencer par former un groupe de réflexion pour canaliser le maximum d’énergies intellectuelles sur une base élargie.
C’est ainsi que fut mis sur pied le « Forum pour le Développement ».
Après des réunions préparatoires qui regroupèrent quelque trois cent cadres, je fus nommé ambassadeur aux USA (1992). Au cours d’une mission d’Ibni auprès de la Banque mondiale et du FMI à Washington, il m’informa que beaucoup de membres du « Forum » s’étaient démobilisés, et que le noyau restant avait décidé d’abandonner la voie du groupe de réflexion que nous avions choisie au départ, pour se muer en parti politique. Quand je revins au Tchad, pour assister à la Conférence nationale (CNS), en janvier 1993, le PLD avait déjà été formé.
La suite de son parcours politique en tant que chef de parti, candidat aux présidentielles, ses entrées et sorties du gouvernement, son rôle de coordinateur de la CPDC, jusqu’à cette fatidique soirée du 03 février 2008, est assez connue, et je n’ai pas à m’y étaler dans le cadre de ce témoignage à tonalité personnelle.
Il est indéniable que le bilan critique de l’action politique de notre génération reste à faire.
Pour ma part, ayant été sur le devant de la scène à l’époque de la guerre inter tendances, puis sous le gouvernement Habré et enfin celui de Déby Itno, je suis tenu à un devoir d’explication, d’autocritique, voire de contrition.
Mutis mutandis, cela concerne aussi Ibni : l’hommage légitime qui lui est dû, la « sanctification » politique de son personnage, ne doit empêcher un jugement de ses choix tactiques et ses éventuelles erreurs, particulièrement en tant que chef de parti.
Refuser la seconde mort d’IBNI
La mort physique est la conclusion normale de chaque existence. Cependant, elle nous paraît toujours injuste et prématurée, même quand elle intervient de façon naturelle, à un âge très avancé.
Dans le cas d’Ibni, la mort l’a grandi. Ses qualités humaines, scientifiques et politiques ont été comme révélées par le vide qu’il a laissé. Son martyre est devenu l’emblème de tous les assassinats politiques au Tchad. La date de sa disparition (03 février) est en train de devenir une référence pour rendre hommage, au-delà de sa personne, à toutes les victimes des assassinats politiques au Tchad : Me Joseph Behidi, Bichara Digui, Mamadou Bisso, Moïse Ketté, Abbas Koty, pour ne citer que ceux-là.
Aussi, son image est en train de s’installer dans le panthéon tchadien comme le modèle même de l’intellectuel compétent et consciencieux, et du leader politique intègre, patriote ; une référence, un modèle pour la génération montante.
C’est là que le régime réalise qu’en le tuant, il l’a rendu encore plus grand, plus mobilisateur, qu’en le tuant il l’a rendu plus vivant !
Au lieu que cela les amène à se rendre compte de la gravité de leur faute, et d’essayer de réparer ce qui peut l’être, les tenants du pouvoir, sont obsédés par la désir de tuer le symbole, après avoir tué la personne physique.
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A cette occasion, je ne m’empêcher de penser à un autre grand martyr de la cause tchadienne, le Dr Outel Bono, assassiné en Paris, en août 1973, par un ex-agent français très probablement pour le compte du régime Tombalbaye; le parcours et la personnalité de ces deux grands fils du Tchad présentent beaucoup de similitude.
Les deux principaux moyens pour tenter de tuer le symbole Ibni, c’est d’abord d’enterrer l’enquête, en espérant qu’avec le temps, l’oubli va s’installer, et ensuite de tenter de brouiller la nature humaniste, pacifique et laïque de son message, afin de discréditer son héritage politique.
Nous ne devons pas nous rendre complice de cette seconde tentative d’assassinat.
Et pour ce faire, nous devons: *Lutter contre l’oubli. *Militer pour que le pouvoir
- Reconnaisse sa responsabilité, établie par la commission d’enquête dans son rapport depuis juillet 2008,
- Remette sa dépouille pour que sa famille fasse son travail de deuil, et
- Prenne des mesures symboliques de reconnaissance et d’hommage.
*Faire vivre son héritage politique, en popularisant ses principes et ses idéaux.
*Lutter jour et nuit pour réaliser son rêve d’un Tchad débarrassé du tribalisme, du confessionnalisme, de l’enrichissement illicite et de la confiscation du pouvoir.
( Première publication : 31 janvier sur : Sahel21, le blog personnel d’Acheikh Ibn-Oumar )
i C’était l’ASETF (Association des Stagiaires Étudiants Tchadiens en France) qui était une section de l’UGEST (Union Générale des Étudiants et Stagiaires Tchadiens – regroupant les associations à travers le monde) et aussi une section de la FEANF (Fédération des Étudiants d’Afrique Noire en France). L’ASETF et la FEANF étaient repartie en section, suivant les académies. Et la section d’Orléans, dans laquelle militait Ibni, bien que moins nombreuse que celle de Paris, était une des plus dynamiques et concentrait les militants les plus engagés et les plus avancés idéologiquement.

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